Oui, cette année, j’ai été primé au 33e Concours International de Créateurs de Jeux de Société de Boulogne-Billancourt, organisé par le Centre National du Jeu – plus communément appelé avec moins de majuscules « concours de Boulogne ». Et c’est quelque chose d’absolument incroyable.
J’ai été primé avec Uma-Jirushi, un jeu dont je parlais dans ma news annuelle de l’an dernier. C’est un concept que je travaille depuis plus de deux ans, qui a changé de thème et subi plusieurs twists mécaniques au fil du temps. L’axe fort, c’était de concevoir un jeu d’empilement où on part d’une mise en place aléatoire, afin non seulement de rentrer tout de suite dans le vif du jeu, de mettre les joueurs devant une situation stratégique donnée, mais également d’éviter de produire un autre jeu abstrait « à ouverture ». Les puristes objecteront qu’un jeu abstrait, par définition, doit être sans hasard et à information complète. Aux diables les puristes.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que les jeux abstraits n’ont pas vraiment la cote d’un point de vue éditorial. Ils sont difficiles à placer, peu d’éditeurs en publient chaque année. Dommage, j’adore ça, même si je ne suis pas forcément une foudre de guerre en stratégie combinatoire ; j’aime l’épure et la profondeur des systèmes mis en jeu. Uma-Jirushi a un coeur de jeu abstrait, de jeu d’empilement, de « jeu de pions ». Je crois avoir réussi – avec plus ou moins de succès selon le point de vue – à lui donner un thème. Il s’agit d’un jeu de conquête. Techniquement, ça commence par un jeu de placement/construction, puis ça devient un jeu de déplacement/capture, ce qui donne, à mon sens, un bel arc narratif au jeu.
Je l’ai montré à quelques éditeurs avant de le proposer à Boulogne. Mais à chaque fois, le retour était le même : « oui, le jeu est bon, pas de doute, mais on accroche pas trop au côté « jeu abstrait » « . Je l’ai donc proposé au concours en espérant lui donner de la visibilité. S’il arrivait en finale, il passerait sous le nez de quelques éditeurs, ce qui serait toujours ça de pris. Je doutais qu’il soit primé, puisqu’il semblait un peu décalé par rapport aux attentes du marché. Mais qui ne tente rien, tout ça…
Le jeu a passé les étapes, les unes après les autres. Et puis il est arrivé en finale. J’ai passé le week-end à Paris, j’ai rencontré des tas d’auteurs très sympathiques. Tout le monde a trouvé que mon jeu était très bon, ce qui fait très plaisir. Des éditeurs sont venus me voir. Puis a eu lieu la remise des prix, et le frisson qui va avec. Et j’ai gagné un des quatre prix.
Je dois saluer le boulot effectué par le CNJ, et surtout par Erwan Berthou, autour du Concours. Il faut savoir qu’il fait un énorme travail de mise en avant des prototypes auprès des éditeurs, allant jusqu’à accompagner les jeux jusqu’à Essen pour les présenter à l’international. A ma connaissance, c’est le seul concours à soutenir à ce point ses finalistes. Suite au concours, j’ai d’ailleurs eu de nombreuses touches très intéressantes. Au final, le jeu sortira chez mon éditeur belge préféré, Sit Down, avec qui je suis très content de travailler à nouveau.
Il faut savoir que, comme dans beaucoup de domaines de la création, auteur de jeu, c’est un métier où on est tout seul. Certes, on voit des joueurs, on rencontre d’autres auteurs, des éditeurs. Mais on est tout seul à porter son truc. Le matin, si personne n’y croit, personne ne viendra vous chercher pour vous dire « hé, bouge toi, on attends impatiemment ce que tu peux nous pondre ! ». Personne. Tout le monde voit ça comme une espèce de hobby un peu foutu, où on a très peu de chances de se faire réellement de l’argent, et même si c’est parfois le cas, on ne pourra jamais vraiment acquérir une quelconque crédibilité sociale. Faut y croire tout seul, tous les matins, parce que personne ne le fera pour vous. On y croit pas forcément tous les jours de la même façon, mais heureusement, si on arrive à franchir quelques étapes, à obtenir quelques succès, même d’estime, ça aide. Quand j’ai publié mon premier jeu, Ar Seizh Bigoudenn, je l’ai gardé dans ma poche pendant plusieurs semaines, au point que les arêtes de l’étui ont blanchi à l’usure. Je l’avais tout le temps sous la main, pour me rappeler que c’était fait, que j’avais publié un jeu.
De temps en temps, on peut se permettre de lever la tête, et de regarder un peu en arrière. Je ne suis pas adepte de l’auto-satisfaction, c’est trop facile et très souvent un peu complaisant. Mais il y a des moments où on se dit : « Là, c’est bon, je peux. J’ai le droit de me sentir fier de ce que j’ai fait, du travail accompli. »
Au concours de Boulogne, c’est ce qui s’est produit. Je suis rentré chez moi avec un trophée, j’ai serré plein de paluches, mais le premier truc que je me suis dit, c’est ça – « là, je peux être fier de moi, nom de dieu ». Si on m’avait dit que je gagnerais Boulogne il y a quelques années, je ne l’aurais jamais cru. Ben non, ça, « c’est fait ».